Il est des rencontres qui vous marquent, auxquelles vous pensez encore longtemps après qu'elles ont eu lieu. Il ne s'agit là ni d'amour, ni d'amitié, ni même d'admiration ou de fascination qui ferait perdre au journaliste la distance nécessaire à l'accomplissement de sa tâche.
Rencontrer Jacques Benveniste, c'était s'exposer aussitôt à cette marque de la rencontre. La marque de l'intelligence à l'état brut, rapide, en perpétuel mouvement. Une intelligence incarnée, capable d'excès de vitesse et de dérapages, mais ô combien généreuse, ouvreuse d'horizons, de mondes inconnus et d'espoirs infinis.
Les détracteurs du professeur Benveniste, si nombreux parmi les scientifiques, sursauteront en lisant ces lignes.
Pourtant il nous faut les assumer à plein, surtout au sujet d'un homme qui ne faisait rien à moitié quand il s'agissait de ses recherches et, accessoirement, de son honneur.
Jacques Benveniste, pour ceux qui auraient oublié, avait été résumé, on devrait dire dilué, ou même noyé, à l'intérieur d'une formule passe-partout, plus poétique que biologique : il passait pour le père d'une fameuse théorie, celle de la "mémoire de l'eau".
Ses formules frappaient l'imagination. Comment n'aurait-on pas succombé au rêve de tremper une clé de voiture dans la Seine à hauteur du Pont-Neuf puis, récupérant quelques gouttes de la même eau vers Le Havre, de réussir à démarrer son auto...
L'effet moléculaire sans molécule, telle était la découverte fondamentale que prétendait avoir mise en lumière Benveniste. Une prétention chèrement payée.
Il faut reconnaître que, même corroborées un temps par la célèbre revue Nature avant d'être contestées de façon grotesque par... un illusionniste, ses recherches faisaient plus que des vagues dans les eaux toujours agitées de la vérité scientifique.
Alors que la biologie moléculaire régnait en maître depuis deux siècles, le médecin de Clamart affirmait tout simplement, expériences à l'appui, que le principe actif restait intact après de hautes dilutions, en l'absence même de molécule.
A ceux qui haussaient les épaules en criant au charlatan, au menteur et au tricheur, au malhonnête et au sorcier, à l'ambitieux assoiffé de gloire et incapable de répéter ses travaux selon un code admis par ses pairs, Benveniste répondait avec un certain humour qui, avec le temps, avait fini par tourner au vinaigre.
D'après lui, ces hommes de science qui réfutaient la mémoire de l'eau croyaient donc, en écoutant un CD de Pavarotti, que le ténor était à l'intérieur de la galette, puisque sa voix ne pouvait être mémorisée par le disque.
On ne dira jamais assez combien Jacques Benveniste se mit à dos "l'établissement" scientifique en persistant dans ce que ses collègues, y compris d'anciens amis signataires de ses travaux, tenaient pour une erreur.
A 20 ans, Benveniste pilotait des voitures de course sur l'anneau de Montlhéry. Devenu par ses découvertes en immunologie dans les années 1970 une véritable référence de la science française, son amour de la vitesse n'était pas mort. Dimanche, c'est la mort qui l'a pris de vitesse, sans que ses pairs lui aient jamais pardonné d'être un homme si pressé. Et si dérangeant.